Valeur refuge de la pierre pour les uns, début du retournement de tendance pour les autres…entre les restrictions bancaires sur les crédits et le climat anxiogène du coronavirus, les avis sont partagés. Conseils pratiques et regards croisés.
Le temps des records de transactions parait loin. Après une année 2019 historique du point de vue de l’activité, du nombre de transactions (plus d’un million) et de la forte production de crédits immobiliers, 2020 pourrait-elle marquer le début d’une inversion de tendance ? Moins d’acquéreurs à cause de la plus grande sélectivité des banques ? Un afflux de biens qui ne trouvent pas preneurs sur le marché et des acheteurs peu pressés et à l’affût d’opportunités ? Des ventes en baisse et des prix qui dévissent ? Comment se projeter dans l’avenir en toute sérénité ?
L’impact des restrictions bancaires sur les prêts immobiliers
Les incertitudes autour de l’activité immobilière sont légitimes. Sur le plan des crédits tout d’abord. En fin d’année dernière, les autorités financières ont tiré le signal d’alarme en recommandant aux banques une plus grande sélectivité dans la production de crédits immobiliers. Bref, durcir les conditions d’octroi des prêts. Résultat ? : « Les investisseurs sont les premiers impactés par les recommandations du HCSF qui préconise de limiter les durées de prêt à 25 ans et d’emprunter avec un taux d’endettement inférieur à 33 % indique Sandrine Allonier, porte-parole de Vousfinancer. Pour maximiser l’effet levier du crédit, ils empruntent avec le moins d’apport personnel possible et sur des durées longues, de telle sorte que le futur loyer couvre la plus grande partie de la mensualité du crédit immobilier. En outre, les investisseurs sont déjà souvent propriétaires de leur résidence principale sur laquelle ils ont un crédit en cours. Leur endettement dépasse donc dans la plupart des cas 33 % si on prend en compte leur investissement futur sans prise en compte des loyers futurs. Aujourd’hui, beaucoup de dossiers de ce type sont refusés dans les banques classiques ».
D’autres profils d’acquéreurs sont pénalisés par les mesures du Haut Conseil de Stabilité Financière. C’est le cas des primo-accédants, de moins en moins représentés dans notre clientèle commente Philippe Taboret, DGA de Cafpi, courtier en crédit. « Pour certains primo-accédants, qui auraient été accepté l’an dernier, la demande d’apport renforcée et la limitation à 25 ans de la durée d’emprunt, deviennent des facteurs bloquants. » souligne t-il.
Scénario 1 : l’immobilier comme valeur refuge
Le climat économique et psychologique autour du Coronavirus va indéniablement peser. S’il est trop tôt pour mesurer son impact sur l’économie, de nombreux spécialistes de la pierre et du crédit considèrent que l’effet anxiogène va se reporter en faveur de l’immobilier. Pour Franck Vignaud, du Laboratoire de l’immobilier : « Le CAC 40 vient de perdre 1300 points en 20 jours, soit une baisse de –21%. Jamais l’immobilier physique n’a connu de chute aussi brutale. Certes, c’est un marché dont l’activité demeure cyclique, mais ses cycles sont plus longs et l’immobilier fait preuve d’une meilleure résilience face aux mouvements de panique. L’immobilier physique s’inscrit généralement dans un temps long, de la production à l’investissement puis la revente. Sa moindre liquidité devient un atout contre les ventes précipitées. N’oublions pas que, malades ou non, les Français doivent se loger et que l’offre de logements demeure insuffisante (en quantité et à des prix abordables) sur les zones tendues ». De son côté, Vousfinancer plaide en faveur de cette thèse : « Dans le contexte actuel de baisse des valeurs boursières, l’immobilier apparaît plus que jamais comme une valeur refuge. La demande devrait donc rester soutenue comme elle l’est depuis le début de l’année ».
Scénario 2 : le marché immobilier va se retourner
D’autres observateurs sont nettement plus critiques sur les perspectives. Ainsi, pour Guy Marty, fondateur de pierre papier.fr, spécialiste des placements et des questions relatives à l’épargne, le marché immobilier pourrait connaître des lendemains difficiles. « L’effet psychologique ne se contrôle pas. Or la santé du marché immobilier est hautement dépendante de facteurs purement psychologiques. Si un nombre suffisant d’acheteurs potentiels se mettent en position d’attente, les vendeurs ne peuvent plus vendre. Le marché se grippe. Les acheteurs attendent encore plus. Le nombre de transactions baisse, et les prix aussi. » prévient Guy Marty. « Si l’épidémie de coronavirus se prolonge, et que le marché immobilier se grippe. Il y aura inévitablement moins d’acheteurs. Cela se fera sentir au bout d’un certain temps, sur les prix des logements » ajoute-t-il.
Vers un ralentissement du marché
De son côté, Franck Vignaud, anticipe un ralentissement : « Si l’épidémie se prolonge, elle aura forcément un impact sur la production de logements neufs et sur le volume des transactions, surtout si des mesures de quarantaine sont imposées. On imagine mal un effondrement des prix mais plutôt un marché qui tournerait au ralenti, vendeurs et acheteurs attendant un retour à la normale pour mettre leurs biens en vente ou pour reprendre leurs recherches. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il y ait une forme d’emballement post-crise pour rattraper les besoins de mobilité ou d’achat qui risquent d’être contrariés si la crise s’installe.”
Une baisse de transactions et des prix selon l’ampleur et la durée
Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne est catégorique : « La crise engendrée par l’épidémie de coronavirus entraîne une baisse des taux d’intérêt, le taux du titre d’Etat à 10 ans français est tombé à -0,4 % lundi 9 mars. Les banques centrales sont condamnées à maintenir des taux bas durant toute la crise afin de lutter contre la spirale déflationniste. L’immobilier pourrait en profiter mais la situation actuelle marquée par un choc d’offre et de demande sur fond d’épidémie est par nature très anxiogène. La fonte potentielle des revenus et la précarité de la situation devraient amener les ménages à privilégier l’épargne de précaution au détriment des investissements de long terme. L’immobilier pourrait pâtir de la situation avec un ralentissement des transactions dans les prochaines semaines. La baisse éventuelle des prix sera fonction de la durée et de l’ampleur de la crise.
Entre attente et opportunités
En guise de conseil, Guy Marty incite à rester serein : « Ces périodes de drame et d’incertitude sont à haut risque dans la gestion de patrimoine. Ce sont en effet les moments où : Quelques-uns, mettent à profit ce type de périodes pour accélérer la constitution de leur patrimoine. Un nombre moindre de gens gardent la tête froide, maintiennent leur discipline d’épargne, et s’en réjouiront ensuite quand les marchés remonteront, comme ils le font toujours. Beaucoup de gens prennent en fait de mauvaises décisions, pénalisantes pour leur patrimoine à long terme, en interrompant ce qu’ils avaient commencé à faire. »
Quant à Philippe Crevel, il milite en faveur de l’attente « Dans une situation de crise de cette nature, la précipitation est mauvaise conseillère. Pour les acheteurs, il est possible que des bonnes affaires apparaissent dans les prochaines semaines, certaines personnes pourront avoir besoin de liquidités. Pour les vendeurs, il est toujours délicat de mettre sur le marché un bien au moment où les acquéreurs sont rares et ont la tête ailleurs. Il est plus sage d’attendre une stabilisation de la situation. »
Source : Le Figaro – Mars 2020.